Articles
08 mars 2024
Les femmes et le mode de vie en cohabitat: un second souffle

Les femmes et le mode de vie en cohabitat: un second souffle
Par
Village Urbain
08 mars 2024
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Le cohabitat est un mode de vie emprunté à nos arrière-grands-parents qui refait surface depuis quelques années. Dans un monde poussé vers l’individualisme, le cohabitat se positionne comme hautement innovant en réponse à de nombreux maux de société. Aujourd’hui, le cohabitat agit comme catalyseur pour l’autonomie et l’épanouissement des femmes, trop souvent laissées de côté dans l’économie mondiale et les décisions politiques. Bien plus qu’un logement et des espaces communs, le cohabitat s’élève comme une solution potentielle face aux enjeux rencontrés par les femmes au sein de notre société patriarcale, tels que l’isolement, le poids de la charge mentale ou encore la précarité économique. Ce dernier facteur joue d’ailleurs un rôle prépondérant dans l’accès au logement des femmes, qui sont 1,7 fois plus nombreuses que les hommes à occuper un emploi à temps partiel, précaire ou non syndiqué (1).
Le cohabitat favorise la sororité et la solidarité en valorisant les compétences et les talents de tous·tes, sans distinction de genre, instaurant ainsi une norme d’entraide. Ce mode de vie permet aux femmes de prendre du recul par rapport aux modèles sexistes préexistants, leur offrant ainsi le temps de vivre et de s’affranchir des contraintes imposées par la société.
Réalité et contexte
Le logement est reconnu comme un besoin essentiel et même un droit de la personne depuis 2019 (2). Dans les faits, de nombreuses inégalités subsistent en matière d’accès au logement et de maintien d’une situation de logement. Ces inégalités affectent particulièrement les femmes, qui souffrent d’une multitude de freins comparativement aux hommes.
Dans un contexte comme celui de la crise du logement qui sévit au Québec depuis plusieurs années, les femmes sont souvent les premières victimes et se retrouvent en proie à une précarité de logement. Ainsi, alors que 32% des hommes sont locataires au Québec, c’est la moitié des femmes (51%) qui louent leur logement. Plus encore, alors que 42% des ménages locataires soutenus financièrement par un homme bénéficient d’un logement abordable, on peut en dire autant de seulement un tiers des ménages soutenus financièrement par une femme.
Ce tableau dépeint une société inégale au niveau économique et un combat pour l’accès au logement profondément différent entre les hommes et les femmes. La notion de privilège est mise en lumière et dépasse les enjeux financiers de chaque foyer : malheureusement pour les Canadiennes, le privilège économique n’est pas le seul privilège réservé aux hommes. Au Canada en 2016, les familles monoparentales représentaient 16,4% des familles canadiennes (3) et le plus souvent, ce sont les femmes qui prennent la position de cheffes de famille en prenant la charge des enfants (4). Ces tendances démographiques expliquent en partie la précarisation de la situation des femmes au Canada, qui assument non seulement la charge financière de ces foyers monoparentaux mais en héritent aussi la charge mentale. Cette fameuse charge mentale n’est pas uniquement l’apanage des parentes de familles monoparentales : elle affecte chaque mère, tante, amoureuse et conjointe. Le coût de cette charge mentale est difficile à évaluer, mais les premières estimations de certain·es chercheur·euses indiquent que cette charge représenterait 10% du salaire annuel d’une femme. Serait-ce la pointe qui cache le reste de l’iceberg?
De ces deux facteurs résulte un isolement social globalement plus prononcé pour les femmes que pour les hommes. Ces dernières vivent effectivement plus souvent seules et font partie des catégories de population les plus touchées par l’isolement social.
Un portrait peu flatteur de cette société où les femmes portent le poids des décisions patriarcales passées et de la crise du logement actuelle est d’autant plus évident à dresser parce que les femmes, encore aujourd’hui, continuent à percevoir des revenus inférieurs à ceux des hommes… Selon le Réseau des OSBL d’habitation, les femmes gagnent 83% du revenu médian des hommes au Québec. Parce que les responsabilités familiales, bien que de plus en plus partagées, imposent aux femmes une charge mentale pesante et invalidante. Parce que les violences conjugales et sexuelles touchent un grand nombre d’entre elles et que les crises sanitaires et économiques accentuent toujours les situations les plus précaires. Parce que les femmes aînées se retrouvent bien trop souvent dans des situations de précarité, à débourser plus de 30% de leur revenu pour se loger, et vivent dans une profonde solitude. Parce que les mères seules représentent 75% des familles monoparentales.
Parce que les discriminations économiques et sexistes que subissent les femmes créent une barrière injuste, privant de nombreuses femmes de l’accès à un logement décent.
Plus qu’un portrait peu flatteur, c’est un portrait réaliste qui est dressé. Nous observons qu’il est plus difficile pour les femmes que pour les hommes d’accéder au logement, et plus encore lorsqu’il est question de propriété. Face à de telles inégalités, le choix d’un milieu de vie collectif et inclusif séduit naturellement de plus en plus ces femmes.
Le cohabitat: une partie de la réponse
En réponse aux enjeux modernes du logement, les modes de vie collectifs comme le cohabitat se présentent comme une solution économique et sociale. Le partage des ressources et la réduction des charges financières et mentales deviennent des remparts face au poids des politiques de logement qui épuisent les femmes. Ces nouvelles façons de vivre, ces nouveaux concepts parfois nébuleux se cristallisent à travers des pratiques concrètes. Partage des factures d’épicerie, réduction des frais de garde d’enfants, partage des frais d’auto ou encore diminution des frais de condo: le champ des possibles est vaste.
Au-delà du soulagement économique que procure le cohabitat, ce mode de vie allège aussi la charge mentale des femmes, les premières porteuses de cette dite charge. Le cohabitat repose sur un réseau d’entraide, de partage et de soutien. Au-delà des mots et des valeurs, le cohabitat, c’est avant tout une machine bien huilée qui permet à tous.tes de s’investir et de soutenir d’une façon ou d’une autre les membres de sa communauté. Quoi de mieux que d’offrir un soutien aux devoirs pour les enfants du cohabitat qui en ont besoin? Bénéficier d’un après-midi de repos pendant que son voisin anime un atelier bricolage pour les 10-13 ans, profiter des restants des repas communs pour préparer les lunchs des enfants du cohabitat… C’est aussi ça, la vie en cohabitat.
Elle permet de mettre en commun une partie de ses efforts financiers, mais aussi le temps de tous.tes pour une meilleure répartition des tâches. Les chiffres ne trompent pas. Les coopératives d’habitation sont principalement peuplées de femmes, tout comme les cohabitats ou encore les colocations entre personnes âgées et étudiant·es internationaux·ales. Les statistiques de Village Urbain sur le premier projet de cohabitat à Lachine révèlent un intérêt significatif des femmes pour le cohabitat :
- 83% de femmes,
- 66% de femmes vivant seules,
- 25% de logements réservés par des mères monoparentales.
À travers nos différents événements, séances d’information et autres ateliers participatifs, 70 à 80% des personnes présentes sont des femmes en quête d’un meilleur équilibre dans le partage des tâches et d’un canal pour cette envie profonde de partage.
Les initiatives abondent au Québec et au Canada et le constat reste le même: les modes de vie en communauté sont favorables aux femmes et prônent des valeurs foncièrement féministes comme le partage des tâches, l’implication de tous·tes, l’entraide, la communication non-violente et l’inclusivité. Un milieu de vie de pour toutes, par toutes.
Le temps passé en cohabitat devient du temps investi et surtout, que l’on peut réinvestir. Réinvestir en soi et en les autres. Pour celles qui ont un·e enfant, le cohabitat offre un soutien de confiance sur place, en tout temps. Pour les plus seules, le cohabitat devient une famille élargie présente dans les bons moments comme dans les mauvais.
Pour les plus âgées, la maison commune devient un lieu quotidien de rencontres et d’interactions, dans un environnement sécuritaire pour vieillir parfois loin de sa famille. Pour les plus occupées, le cohabitat permet de réduire le temps accordé à des tâches domestiques en mutualisant les efforts. Pour les plus timides, les groupes de travail et les comités sont l’occasion de reprendre son pouvoir, de prendre des décisions pour la communauté et de reprendre le contrôle de son milieu de vie sans en porter le poids seule. Le cohabitat s’adresse à toutes, sans distinction d’âge, d’objectif de vie ou de situation familiale. Le cohabitat offre un environnement sororal sécuritaire pour les femmes, une sorte de « famille choisie » (5). Une nouvelle famille, plus égalitaire, saine et soutenante. La Maison Rebelle à Montréal, ou les Babayagas en France, offrent un environnement sororal, sûr et inclusif où choisir sa propre famille devient une réalité.
Conclusion
Le cohabitat émerge comme une réponse novatrice aux défis auxquels font face les femmes dans notre société. Alliant réponse économique, réduction de la charge mentale et création d’un environnement sororal, il se positionne comme bien plus qu’une alternative de logement. Il devient un mode de vie qui embrase l’épanouissement des femmes, mettant en lumière la force de la sororité dans la création d’une communauté où l’autonomie, la solidarité et la croissance individuelle sont célébrées.
Sources:
(1) Femmes et logement communautaire – Réseau québécois des OSBL d’habitation. (2019, March 7). Réseau Québécois Des OSBL D’habitation.
(2) Quelques notions sur le droit au logement au Canada. (n.d.).
(3) Statistique Canada (2023, October 4). Série « Perspective géographique », Recensement de 2021 – Canada.
(4) Femmes et logement communautaire – Réseau québécois des OSBL d’habitation. (2019, March 7). Réseau Québécois Des OSBL D’habitation.
(5) Coalition jeunesse LGBTQ+